Nous avons rencontré Didier Leplat pour la première fois il y a quelques années au cours de l’une de ses expositions (dont nous parlerons plus bas). Didier n’est pas seulement un photographe mais il est également un créatif avec son propre univers, entremêlé de rêverie, d’imagination et de création. Didier pratique également la photographie à la chambre et nous plonge, le temps de quelques questions, dans l’univers de son Trombinotron.
Bonjour Didier – Peux-tu te présenter en quelques lignes ?
Je suis un type sérieusement allumé. C’est-à-dire sérieux, mais pas tout à fait ! Né en 1952, j’attrape le virus de la photo dès mes 10 ans. Les symptômes sont gravissimes,
puisqu’on me surprend à fabriquer mes propres appareils photo, dans les pas de mon père inventeur. A l’âge de 22 ans, en 1974, je crée mon premier studio photo après une première exposition à Dreux.
En 1986, nouvelle rechute : je découvre l’image de synthèse et la retouche numérique à l’École des Arts Décoratifs. C’est un souffle nouveau dans mon approche graphique très personnelle, qui manie les formes, les couleurs, les volumes, les contrastes, et je les marie à l’humour et à la poésie avec amour et tendresse.
En 1989, je crée ma propre agence de communication qui deviendra, 7 ans plus tard, le studio graphique Souris Verte à La Loupe dans le Perche.
Depuis quand pratiques-tu la photographie ?
J’ai commencé d’être impressionné par le développement photo à l’âge de 10 ans. Initié par Claude, le filleuil de ma maman qui m’a fait découvrir dans son grenier comment on
développait les photos… dans des assiettes à soupe… peut-être faisait-t-il le rapprochement au premier degré entre la «soupe», le révélateur, et les assiettes, et pensait-il que cela ne pouvait pas marcher l’un sans l’autre !
Certainement une façon de me venger… à cet âge, j’avais horreur de la soupe… et de voir se former l’image ainsi me révéla ma future passion !
J’avais la passion de découvrir comment cela marchait, de tarabuster mes parents pour l’achat d’un appareil, de chercher où trouver du révélateur, et du papier photo… A cette époque, j’avais l’impression qu’en allant chez le photographe de quartier, il allait me faire les gros yeux et me dévorer tout cru si je lui demandais de tels produits… pensant certainement que j’allais lui retirer du travail ou du moins le faire à sa place !
Te rappelles-tu de ton premier appareil photo ?
Grâce au Noël des francs-maçons, j’ai eu la joie d’avoir un appareil photo, c’était un Kodak Instamatic 50. J’étais content et j’ai fait plein de photos avec que je portais à développer. Les tirages sur papier chamois au format 9 x 9 cm, avec une marge tournante et bords ciselés, ceux dont nous avons encore souvent la nostalgie !
Bref, de mois en mois, ma passion naissait et il fallait absolument que je me lance dans le développement.
J’ai réussi à obtenir quelques sous de mes parents, qui n’en avaient pas trop, et nous avons acheté une cuve « souplinox » pour développer les films…
Tu es passionné par l’image mais également par les beaux objets, la chambre notamment… Peux-tu nous parler du Trombinotron ?
Dans l’année 1970, j’ai eu la change d’hériter de matériel photographique qui avait appartenu à M. Vanovre, photographe à Chartres entre les deux guerres. Sa veuve, amie avec ma maman, ne savait que faire de son matériel et j’ai eu la joie d’aller à Nice avec ma 2cv pour le chercher. Dans le lot, il y avait deux chambres bois Gilles Faller avec beaucoup d’optiques et des châssis.
Je suis tout de suite tombé amoureux du modèle 18×24. Cette chambre était accompagnée notamment d’optiques impressionnantes telles que l’Universal Heliar 1:4,5 de 48 cm de focale avec une bague pour réglage du flou.
C’était l’époque du démantèlement des halles de Paris et en 1971, j’ai fais une dizaine de plan-film avec cette attelage ! N’ayant pas d’obturateur, je me servais du bouchon pour l’exposition. Une autre optique pas ordinaire était un véritable et vénérable Hermagis à portrait N°3 des années 1890, de toute beauté tout en laiton usiné. (Focale 500 mm, ouverture 4,5)
Ce n’est que récemment, avec ma conception du Trombinotron, que j’ai remis cette optique au travail plus de 100 ans après sa fabrication !
Ce matériel a toujours été près de moi et est resté longtemps davantage en décoration qu’en production ! La chambre 18×24 était dans la vitrine de mon studio sur un pied avec un objectif Saphir Boyer de 270 mm et sur le dépoli on pouvait voir à l’envers l’image de la rue… Un jour j’eu l’idée de photographier cette image et c’est comme ça qu’est né le Trombinotron !
Après différents essais sur des prototypes en carton, il s’avérait que c’était davantage pour le portrait que cette machine serait dédiée et après les premiers portraits réalisés avec le 270 mm, je décidais de construire le modèle définitif qui permettait d’adapter l’Universal Heliar et l’Hermagis. De toutes façons, la taille de l’appareil limitait son utilisation en dehors du studio.
Le plus dur fut de trouver un dépoli assez lumineux et suffisamment fin pour éviter trop de grain. Les premiers portraits tirés furent réalisés avec l’Heliar utilisé bien évidemment à pleine ouverture. La profondeur de champ de cette optique est très réduite (pas plus de 5mm !) et la mise au point sur le dépoli doit être faite à la loupe et sur l’oeil du sujet qui ne doit pas bouger avant le déclenchement. L’éclairage du studio, devant un fond spécifique bleu violet sombre peint à la main, est constitué d’une boîte à lumière et d’un renvoi. L’éclair du flash dans la boîte à lumière est nécessaire pour éclairer convenablement le modèle.
L’avantage du numérique est de vérifier immédiatement si le sujet est net ou si la pose est convenable. Pour se rapprocher des images à la Nadar (fin du 19e siècle), j’eu l’idée d’adapter l’Hermagis à portrait sur le Trombinotron. En plus de la toujours très faible profondeur de champ, celui-ci ne permet de faire le point que sur le centre optique car les bords sont progressivement flou à partir du centre. Là, la mise au point est très ardue car il faut placer ce que l’on veut net au centre de l’image mais cela vaut la peine car cette optique est magique et les résultats sont surprenants facilitant le photographe à mieux restituer la personnalité et l’âme de chaque sujet !
Chaque année, tu organises des expositions. Peux-tu nous en parler s’il te plait ?
Cette année en effet c’est la 7e édition de Photo-Graphie.
Président des Indépendants du Perche depuis 2002 et des Indépendants du Perche/Courant d’art depuis 2013, notre association a la vocation à promouvoir l’art sous toutes ses formes au travers d’expositions ou manifestations. En 2008, j’ai eu envie de lancer un festival sur la photographie de création à La Loupe. Le thème général est de sortir du réel et rentrer dans l’imaginaire ou comment se servir de la photographie pour s’exprimer.
Le château de La Loupe se prête à merveille à cette manifestation puisque les sous-sols voûtés proposent 6 salles qui accueillent chacune un artiste qui peut ainsi exprimer au mieux son univers.
Les artistes sont choisis aussi pour leur qualité humaine ce qui est indispensable à l’ambiance et au bien être que cela procure pour le visiteur.
Cette année, en plus des 6 salles du sous-sol, nous avons voulu augmenter l’audience en rajoutant un concours photo dédié aux clubs photo (quatre de Chartres et un de Maintenon).
Nous organisons aussi deux conférences durant l’exposition.
Sur un plan plus personnel, as-tu des projets photos ?
Toujours en réflexion, j’ai toujours de nombreux projets en tête !
Un projet de tirer « L’aréopage », un journal d’artiste fait par des artistes que nous éditons au sein de l’association. Il s’agit d’un recueil de photos sur l’ancienne voie ferrée qui reliait La Loupe à Verneuil-sur-Avre.
Un projet d’exposition de portraits en noir et blanc faits avec le new Petzval en studio.
Je prévois aussi une expo aussi à Bonneval au printemps 2015 avec mes Univers virtuels… Et bien-sûr Photo-graphie# 8 fin septembre 2015 !
Si tu étais un appareil, une pellicule et un révélateur …
Pour l’appareil, j’ai beaucoup d’hésitation mais ce n’est pas lui le plus important à les yeux. C’est plutôt l’objectif qui me fascine. Chaque objectif correspond pour moi aux pinceaux pour le peintre… Il va me servir à moduler la lumière à iriser les arrières plans, nimber les hautes lumières, faire frémir les contour pour bien détacher le sujet et le lettre en lumière ! J’adore pour ça le rendu de mon vieux Nikkor SC de 55 mm qui ouvre à 1.2 et que j’utilise toujours à pleine ouverture. Je peux le monter sur mes boîtiers Nikon, Sony, et donc bien sûr sur mon vieux Nikon F pour lequel il a été conçu.
Pour la pellicule, ma préférée est la Tri X de chez Kodak pour sa souplesse et son grain magique, j’en ai encore dans le frigo ! Je l’utilise surtout maintenant en 6×6 sur un vieux Kneb équipé avec 4 optiques Zeiss (50, 80, 120 et 180 mm).
J’ai pris l’habitude de développer mes films avec du Rodinal de chez Agfa qui est très souple d’emploi. Ce révélateur est à nouveau fabriqué mais les films, pour combien de temps en avons nous encore ? Je pense que pour les accrocs de l’argentine noir et blanc, il faudra bientôt faire soi-même ses surfaces sensibles et par ce fait le retour à la chambre et les plaques de verre me paraît incontournable.
Merci beaucoup à Didier Leplat pour nous avoir donné un peu de son temps afin de pouvoir répondre à toutes nos questions. Si vous souhaitez plonger dans l’univers de Didier et son Trombinotron, nous vous conseillons d’aller faire un tour sur son site web perso et sur le site du Trombinotron.
Paul Allain
Merci pour ce portrait et bravo d’être aller jusque dans le perche pour nous trouver ce genre de photographe.
J’ai beaucoup d’affection pour les gens qui mêlent sans complexe les techniques et les outils.
remylapleige
On compte bien faire « parler » des photographes de bien d’autres régions 😉
Olivier
Beau portrait d’un ‘personnage’ de la photographie